LES MAREES VERTES ou HISTOIRE D’UNE CONTROVERSE
Au commencement était l’ISTPM, au sein duquel Joël Kopp signa une publication remarquable en 1977, dans laquelle il décrivait de vastes champs sous-marins d’ulves fixées, les cartographiait, et leur attribuait la paternité des champs d’ulves libres puis du rideau et des échouages.
Ces champs d’ulves fixées ont eu une existence très éphémère dans la science française, on n’en entendit plus jamais parler.
L’IFREMER expliqua par la suite que le mal était causé par les nitrates rejetés par l’agriculture ; les chercheurs s’appuyaient pour le dire sur deux phénomènes, d’une part une corrélation trouvée en baie de St Brieuc entre les flux de nitrates dans les rivières en fin de printemps-début d’été et les tonnages d’ulves ramassées, d’autre part sur la baisse de la teneur interne en nitrates des ulves qu’on observait en milieu d’été dans le rideau.
Le CEVA (Centre d’Etudes et de Valorisation des Algues) à l’époque accusait les phosphates, et des efforts importants ont été faits dans les Côtes d’Armor pour en diminuer les rejets (amélioration des stations d’épuration en particulier). Le fait que ces efforts n’aient pas porté leurs fruits a conforté les chercheurs de l’IFREMER dans leurs convictions.
Les associations de défense de l’environnement, dont les nitrates sont depuis longtemps le cheval de bataille, et dont le discours est amplement relayé par la presse, y trouvaient leur compte.
Les pouvoirs publics, chargés de l’application de la loi sur l’eau qui traduisait en droit français une directive Européenne mirent en route la lutte contre les rejets de nitrates, en entretenant l’idée qu’au bout de cette lutte se trouvait la fin des marées vertes.
L’ISTE, Institut Scientifique et Technique de l’Environnement, qui est une association qui ne fait pas partie des organismes publics de recherche (et dont les thèses sont assez proches de celles que défendait le CEVA au début) protesta contre cette politique qui s’appuyait sur l’hypothèse que les nitrates étaient responsables des marées vertes. Il refuse cette hypothèse et déplore les efforts demandés aux agriculteurs, dont il est persuadé qu’ils seront vains.
L’accueil fait à cette dernière thèse par les agriculteurs les amena, scandale ! à mettre en cause l’utilité des efforts qui leur étaient demandés.
Outrés par cette indocilité du tiers-état, les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement demandèrent à un collège d’experts de valider la thèse de l’IFREMER, ce qui fut fait, mais avec de sérieux bémols.
En effet, là ou l’IFREMER affirmait la « responsabilité » du nitrate, le rapport « Chevassus » partageait la responsabilité entre nitrates et phosphates, les apports de ces nutriments ayant été considérables pendant de nombreuses années.
Là où l’IFREMER s’appuyait sur des corrélations de toutes sortes pour prouver que les nitrates étaient le facteur limitant, le rapport soulignait l’inutilité de ce genre d’exercice, peut-être pour désamorcer les critiques de l’ISTE.
Là où le CSEB (Conseil Supérieur de l’Environnement de Bretagne) ferraillait pour que les agriculteurs paient au nom du principe pollueur-payeur, le rapport insistait sur notre responsabilité collective.
En fait, l’analyse du problème faite dans le rapport « Chevassus » est fondamentalement différente de celle qu’a délivrée l’IFREMER aux politiques et aux médias pendant des décennies.
Le résumé en est très bien fait sur le site internet du CEVA :
Il faut distinguer trois facteurs :
le facteur limitant, celui qui freine la croissance ; toute action sur ce facteur (qui peut être pour la croissance d’un végétal la lumière, les nitrates, les phosphates, ou tout autre élément nécessaire à sa croissance) se traduit par une modification de la croissance, accélération si on augmente les apports de ce facteur, diminution si on les réduit.
Notons à ce propos qu’affirmer en même temps que les nitrates sont limitants, mais que leur diminution sera sans effet si elle n’est pas d’au moins 50 à 80 % est d’une incohérence totale.
Le facteur responsable, celui qui est à l’origine du problème. Par exemple, on ne peut pas dire que les phosphates, qui sont en quantités très importantes dans les sédiments, et dont les ulves ont besoin aussi pour leur croissance n’ont pas de responsabilité dans le problème des marées vertes.
Le facteur de contrôle, enfin, celui qu’on va utiliser pour régler le problème, qui n’est pas nécessairement un des deux précédents.
Les nitrates ne sont pas le facteur limitant, d’abord parce que toute baisse des apports se serait traduite par une baisse des échouages, ce qui n’a jamais été observé, à l’exception de 5 ou 6 années en baie de St Brieuc, en prenant soin de ne pas intégrer les années qui gênent, et ensuite parce que l’historique montre bien que les marées vertes ont atteint leur maximum dès le début des années 80 alors que les apports de nitrates ont augmenté jusqu’au milieu des années 90.
Les nitrates ne sont pas le facteur responsable, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne jouent aucun rôle, mais que les phosphates jouent un rôle, et que le site est de toute évidence un facteur primordial dans les marées vertes : il y a des endroits où elles apparaissent en quantités considérables bien que les apports de nutriments ne soient pas très élevés (St Michel en Grève), et des endroits où malgré des apports considérables, elles n’apparaissent jamais.
Le rapport « Chevassus » en conclut que les nitrates peuvent être un facteur de contrôle des marées vertes.
On peut noter qu’étonnamment, ce rapport considère comme valable le fait de considérer que la baisse des taux internes d’azote dans les ulves prouve le caractère limitant des nitrates, alors qu’il reconnaît par ailleurs qu’il faudra une baisse très importante des apports de nitrates avant d’obtenir le moindre effet. On a donc affaire là à un facteur limitant qui ne limite rien, ce qui peut surprendre.
Un essai assez simple permettrait de trancher le débat :
Captons avec un émissaire une partie du débit d’étiage du Yar, la rivière qui est considérée comme responsable des marées vertes en baie de Lannion, et envoyons la à la sortie de la baie dans laquelle ont lieu les échouages ; le Yar est une petite rivière, le diamètre n’a pas besoin d’être considérable, et on aura diminué les apports de nitrates en fin de printemps et début d’été dans des proportions considérables. Les modèles de l’IFREMER et du CEVA doivent permettre de dimensionner l’émissaire et de dire où le placer.
Cela permettra de valider à la fois les théories et les modèles, et tout le monde y gagnera . (Cette idée a déjà été proposée par des chercheurs de l’IFREMER il y a plus de vingt ans, mais avait fait l’objet d’une levée de boucliers. On ne peut que le regretter.)
Qua se passe-t-il à l’étranger ? Il semble que la Chine connaisse ses pires marées vertes. Est-ce de même nature ? Le Danemark avec ses élevages porcins proudit-il le même phénomène ?
Merci de votre retour.
Il y a effectivement des marées vertes très importantes en Chine (voir photo en fin d’article), et l’accroissement des rejets lié au développement économique n’y est certainement pas étranger.