Le rôle des stocks hivernaux.

Le CEVA explique sur son site internet1 que le démarrage du développement des ulves au printemps est lié à l’importance des stocks restant en automne des marées vertes de l’année précédente. Il s’agit des stocks d’algues qui ne se sont pas échouées, et qui vont passer l’hiver vivantes, et libres.

 

Ce qui est illustré par la figure suivante :

stks-hivernaux-ceva

 

Ce qui confirme l’hypothèse que les ulves sont installées, qu’elles ont des stocks tampons inter-annuels, peut-être fixés, mais surtout libres, d’où partent les marées vertes de l’année suivante : elles se seraient installées un peu comme les aigrettes garzettes, qui ont envahi la Bretagne au grand plaisir des ornithologues.

En 2000 le CEVA évoquait les échanges possibles entre le rideau et les stocks de l’infra-littoral, et en 2002, il posait la question des stocks profonds mal connus, de leur évolution dans le temps et dans l’espace, de leur capacité à passer d’un site à l’autre et de leur rôle dans le démarrage des marées vertes.

Déjà était envisagée la possibilité de diminuer ces stocks pour tenter de retarder ou maîtriser les marées vertes. Le fait que l’importance du stock de départ ait un effet important sur le démarrage au printemps permet d’espérer qu’une intervention en automne pour réduire les stocks hivernaux, suivie d’une autre intervention au printemps permettrait de retarder encore le démarrage. Reste à voir jusqu’où peut aller ce retard.

A l’IFREMER, au contraire, tout le monde est convaincu que le salut ne peut passer que par une lutte drastique contre les nitrates et donc, de façon tout à fait cohérente avec cette conviction, rejette tout ce qui sort de ce cadre, y compris à titre expérimental.
Des essais ont été faits pour pêcher les algues en mer, soit dans le rideau avec des engins à roue, portés par le CEVA, soit en eau profonde à partir de bateaux, portés par le Parc Naturel Marin d’Iroise. Un chercheur de l’IFREMER a publiquement pris position contre ces techniques, considérant que la croissance des algues allait en être augmentée2. Il faut reconnaître que c’est possible si c’est la lumière qui est limitante dans le rideau, mais on peut ajouter que ça n’est pas possible si ce sont les nitrates qui sont limitants !

En fait dans le plan de lutte proposé au Premier Ministre par Dominique Dalmas et al début 2010, l’idée de pêcher les algues dans l’eau, que ce soit dans le rideau ou en mer, sera quand même reprise et fera l’objet des recommandations respectivement n° 26 et 27.
Mais on voit, une fois de plus, le fossé entre la position de l’IFREMER et l’analyse faite par le CEVA qui justifie ces essais à la lecture des expériences passées. Une expérience qu’ils ont menée en baie de la Fresnaye, mérite d’être rapportée.

 

L’expérience de la baie de la Fresnaye

Un document qui était disponible sur le site internet du CEVA3 décrivait cette expérience qui a consisté à enlever le plus d’ulves possible pendant trois ans dans la baie de la Fresnaye, située à l’Est de la baie de St Brieuc. Le but était d’étudier l’évolution des marées vertes d’année en année suite à ce nettoyage.

Le résultat est pour le moins impressionnant : après trois ans de nettoyage approfondi de la baie, le phénomène marée verte a disparu, et les ulves ne sont pas revenues depuis.

Le bilan est dressé avec beaucoup de précautions, et il est précisé qu’on ne peut pas affirmer que l’opération pourrait être conduite ailleurs avec succès. Toutefois elle a le mérite d’exister et elle montre que sur ce site au moins, le fait de se débarrasser des ulves n’a pas amené de catastrophe :

du point de vue scientifique, on a assisté au développement d’autres espèces d’algues moins exigeantes en nitrates (Pylaïella, Cladophora, Ulvaria) qui présentent l’avantage de s’échouer beaucoup moins et d’être moins riches en soufre. C’est une information précieuse, parce que la question pouvait être légitimement posée, de ce qui allait  »pousser » à la place des ulves quand on les aurait enlevées, puisque le flux de nutriments n’avait pas été supprimé ;

du point de vue des riverains ou des responsables des opérations de nettoyage des sites, le progrès est considérable, on peut parler de plages propres, la baignade est de nouveau possible ; à part un épisode de croissance rapide de Pylaïella en avril mai 2009, la  »paix » est revenue. On a signalé aussi des échouages en fin de saison 2012 de débris de zostères4, ce qui est une preuve de bonne santé du milieu.

La baie de la Fresnaye fait partie des huit baies cibles du plan de lutte contre les algues vertes, donc les efforts continuent contre les nitrates sur tout le bassin versant. Si l’on voulait mener l’expérience de manière réellement scientifique, il faudrait disposer de plusieurs sites exactement comparables, et de procéder à l’enlèvement complet sur une partie d’entre eux, et de n’enlever que les échouages sur le reste des sites. C’est hélas impossible, parce qu’on ne dispose pas de sites strictement comparables, les conditions variant selon les années entre deux sites même très proches.

Il n’y a donc pas d’autre solution que de faire des essais empiriques sur d’autres sites pour en mesurer l’impact, même si cela n’a pas valeur de démonstration scientifique .

On peut retenir que le CEVA a réussi, avec les communes et communauté de communes concernées, sur un site particulier, à éradiquer les marées vertes par un procédé autre que la réduction des taux de nitrates. Cette réussite a eu étonnement peu d’écho, malgré sa nouveauté.

Il faut tempérer cet enthousiasme en notant que dès 2002, la commune d’Erquy ne ramasse plus d’ulves non plus, alors qu’il est peu probable qu’elle ait pu bénéficier des efforts faits plus à l’est dans la baie de la Fresnaye. Cette amélioration à Erquy est-elle un premier fruit des efforts faits sur les rejets de nutriments, et si c’est le cas, qu’en est-il de la baie de la Fresnaye ?

Si l’essai mené par le CEVA n’a pas été le seul responsable de l’amélioration de la situation, peut-être a-t-il eu le mérite d’accélérer quelque chose qui se serait produit de toute façon ?

Autant dans la théorie de l’IFREMER, il suffit de quelques morceaux d’algues grands comme l’ongle pour créer en quelques semaines un rideau dense et une marée verte étendue, autant le CEVA semble plus prudent et ouvert à tous les essais de réduction de la quantité d’algues servant de point de départ au développement de la marée verte. Cet essai en baie de la Fresnaye est arrivé en réponse à toute une série de questions5 dont le fait qu’elles soient posées montre qu’il existe une autre grille de lecture du problème  »marées vertes » que l’association automatique marées vertes-nitrates-cochons, et qu’on peut envisager d’autres moyens de lutte que la seule intervention sur les taux de nitrates. Ce qui ne signifie pas qu’il faille exclure cette dernière !

D’après le CEVA, il semble que les stocks hivernaux (profonds) servent d’ensemencement pour les marées vertes de l’année suivante.

 

 

1  »Le suivi des marées vertes sur plusieurs années a permis de montrer que le pic printanier d’une marée verte (juin) dépendait très peu des flux d’azote mesurables avant et pendant cette période, mais pouvait être corrélé aux stocks d’ulves présents sur les sites en fin de saison précédente, de même qu’aux conditions hivernales de dispersion et de croissance des algues…. » CEVA

2  »Ramasser les algues vertes en mer, comme l’a proposé la secrétaire d’État à l’Écologie Chantal Jouanno après le décès suspect d’un salarié en Bretagne, n’apparaît pas comme une solution, a expliqué jeudi un chercheur de l’Ifremer lors d’une conférence de presse.

« On a proposé de donner de l’argent public pour ramasser les algues en mer. Il faut savoir que c’est très difficile d’aller dans cette zone, il faut des barges. Et que fait-on: on les ramène sur la plage?, on les remet en mer? », s’est interrogé Alain Menesguen, directeur de recherche à l’Ifremer, qui étudie depuis plus de vingt ans le phénomène des marées vertes en Bretagne.

« Faire du ramassage intensif et surtout en mer, cela va augmenter la production d’algues vertes », a-t-il même affirmé. » AFP 24/9/2009

  • 3 »Un programme de ramassage, le plus précoce et massif possible, a été entrepris en 2003 dans le secteur: baie de la Fresnaye – baie de l’Arguenon – baie de Beaussais, visant à évaluer son effet sur la marée verte de l’année dans le même secteur.

Une quantité minimale de 1500 m3 d’algues a été collectée en baie de la Fresnaye en phase d’apparition de la marée verte, entre le 10 mars et le 18 avril 2003, permettant de tester de nouveaux outils en grandeur nature et ayant pour conséquence d’écrêter le maximum estival de biomasse dans le site. Il est aussi apparu que la baie qui était réputée inaccessible à un chantier de ramassage l’était en fait et que le nettoyage ponctuel de différents accès à la baie avait une efficacité « longue durée » (c’est-à-dire sans un retour rapide des algues du fait de leur faible mobilité dans le site). Cet aspect a joué un rôle important dans la perception que les riverains ont eu du « succès » de l’opération et dans l’intérêt qu’a eu la CCPM à installer un chantier de ramassage même classique pour améliorer la qualité de ses plages. La CCPM a reconduit l’opération sur 2004 et 2005, mais avec une apparition des algues de plus en plus tardive, des quantités maximales de plus en plus limitées dans la baie en période estivale. En 2006 la marée verte a été désamorcée dans la baie, rendant inutile l’intervention d’un chantier.

Dans la mesure où la période 2003 à 2006 a été caractérisée par une succession de flux estivaux très bas dans la baie, ainsi que par le développement particulier en 2006 d’une espèce concurrente dans un contexte de printemps très froid, il est difficile aujourd’hui de faire un bilan sur le rôle exact, probablement mineur, qu’a pu jouer le chantier lui-même par rapport aux facteurs climatiques, dans cette régression très sensible du phénomène de marée verte. » Site internet CEVA

4Les zostères sont des plantes aquatiques marines, qui ne sont pas des algues, et forment des herbiers sur des fonds sableux ou sablo-vaseux ; ces herbiers sont des abris pour une faune abondante, et sont appréciées comme nourriture par les bernaches.

5 »Les stocks accessibles à l’observation aérienne sont-ils toujours, d’un site à l’autre, suffisamment représentatifs des stocks totaux d’une baie. Quelle est la part immergée des stocks qui échappe à une évaluation ponctuelle ou pluriannuelle ?

Y a-t-il, d’année en année, de plus en plus d’algues sur le fond au large des sites à marée verte ?

Peuvent-elles passer d’un site à l’autre quand ils sont rapprochés (et fausser ainsi l’évaluation de la résistance potentielle de certains sites à des mesures préventives engagées en amont de manière isolée) ?

La capacité différentielle des sites à conserver jusqu’au printemps des stocks résiduels infra littoraux, a-t-elle de l’importance dans la précocité, l’ampleur et la durée des marées vertes dans un site ? Cet aspect intervient-il de manière importante dans la résistance potentielle de certains sites à des mesures préventives, comme curatives ?

Dans quelles conditions les algues sont-elles définitivement dispersées au large et perdues par le système ? Pourrait-on par exemple accélérer ce transfert naturel en déstockant le rideau par pompage et rejet au large ? »

(Toutes ces questions se trouvent dans l’introduction d’une publication de 2002 sur les stocks de la baie de la Fresnaye et de deux baies voisines, qui a abouti à la réalisation des essais qui seront évoqués ultérieurement.)

 

 

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