Derrière les chercheurs, les forces en présence.

Les associations environnementales.

On ne peut pas terminer ce panorama du contexte du problème des marées vertes sans évoquer l’existence de ces associations. Elles sont très variées, d’associations régionales comme  »Eaux et Rivières de Bretagne » (anciennement Association pour la Protection et la Promotion du Saumon en Bretagne), à des associations locales comme Sauvegarde du Trégor, Sauvegarde du Penthièvre ou Baie de Douarnenez Environnement, pour n’en citer que quelques unes. Toutes sont mobilisées contre les marées vertes, et on peut tout à fait comprendre la révolte des riverains de ces zones sinistrées par ce fléau.

 

Il y a aussi parmi elles quelques militants qui souhaitent la disparition de l’agriculture bretonne telle qu’elle existe actuellement, et pour qui ce combat contre les algues vertes n’est qu’un angle d’attaque parmi d’autres.

Le décès en 2009 de Thierry Morfoisse, chauffeur affecté au transport des algues vertes a donné à la lutte une nouvelle dimension. Il faisait suite à des morts de chiens, d’un cheval, peut-être d’un joggeur en 1989… Ce n’était plus seulement un problème environnemental, ça devenait un problème de santé publique.

De nombreuses manifestations ont été organisées, avec quelquefois des rencontres à risques comme le 18 septembre 2011 à Fouesnant, où se sont retrouvés face à face associations anti-algues-vertes et élus et agriculteurs exaspérés par ce qu’ils ressentent comme une stigmatisation. Quelques centaines de mètres séparaient les deux groupes et il n’y eût pas de heurts.

Il y a quelques figures en tête de ce combat, parmi lesquelles le Dr Claude Lesné, médecin ingénieur au CNRS, en première ligne depuis des années et André Ollivro ancien professeur de philosophie élu Breton de l’année 2009 pour son combat contre les marées vertes. On peut aussi citer Yves-Marie Le Lay, président de Sauvegarde du Trégor, qui a déposé plainte contre le préfet des Côtes d’Armor, et le Docteur Pierre Philippe qui, médecin au centre hospitalier de Lannion, a vu passer dans son service des victimes des émanations d’hydrogène sulfuré, et a porté témoignage de ces faits. André Ollivro a d’abord écrit  »La Bretagne est-elle une porcherie ? », puis  » Le scandale des algues vertes », puis s’est associé à Yves-Marie Le Lay pour écrire  »Les algues vertes tuent aussi ».

Après avoir fait porter le combat contre les taux de nitrates considérés comme responsables des marées vertes, André Ollivro a choisi de mettre l’accent sur le risque sanitaire que représentent les échouages lorsqu’on laisse se dégrader les algues échouées. Ce nouvel angle d’attaque permet de ne plus avoir besoin de prouver le lien entre nitrates et algues vertes, puisqu’en tout état de cause, l’État ne peut pas laisser dans des lieux accessibles au public des stocks de produits toxiques.

De son côté, l’association  »Eaux et Rivières » maintient la pression sur les pouvoirs publics, pour que soit intensifiée la lutte contre les rejets de nitrates. Elle attaque au tribunal administratif les décisions qui lui semblent insuffisantes1. En avril 2013, celui-ci lui donne raison contre la FDSEA et les Jeunes Agriculteurs du Finistère.

Certaines associations veulent la fin des marées vertes, mais d’autres ont déclaré la guerre à ce qu’André Ollivro et Yves-Marie Le Lay appellent le  »totalitarisme idéologique de l’agriculture intensive » et le  »lobby agro-industriel ».

On touche là à une distinction fondamentale, savamment décrite par Luc Ferry2 entre les défenseurs de l’environnement, c’est-à-dire du cadre dans lequel l’homme vit, et les défenseurs de la nature en tant que telle.

Les premiers donnent à l’homme une place centrale, on pourrait les qualifier d’humanistes si le mot n’était pas si galvaudé. Ils souhaitent pour eux et plus tard pour leurs enfants un monde agréable à vivre, même s’il ne ressemble pas au monde qu’ont laissé leurs grands-parents.

Les derniers considèrent au contraire que l’homme ne fait pas partie de la nature, et qu’il doit se faire oublier, certains affirmant même que la terre ne peut porter que 500 millions d’hommes et qu’il est de leur responsabilité de faire redescendre la population mondiale à ce nombre3.

L’écart entre les deux sensibilités est énorme. Mais entre les deux, on trouve toutes les nuances, pas toujours bien analysées, du rejet brutal de la société actuelle chez les plus jeunes, à la nostalgie du monde tel qu’il était (ou plutôt tel qu’on se le rappelle et l’idéalise) chez les plus  »anciens ».

La position des agriculteurs.

Le développement agricole de la Bretagne, très rapide depuis les années 60, a propulsé la région en tête pour les productions porcines, avicoles et laitières. La production légumière a aussi fortement augmenté. Ce développement de l’élevage s’est traduit par une augmentation importante des pollutions créées par les épandages des déjections animales, et par les engrais chimiques dont la consommation a augmenté très vite. Cette croissance rapide a été accompagnée par la création de grosses coopératives, de marchés au cadran selon l’exemple hollandais, puis d’un développement très important de tout le secteur agroalimentaire, du réseau routier, et même de la création d’une compagnie maritime de ferry vers l’Angleterre à l’initiative des producteurs de légumes de la SICA du Léon.

La situation a bien changé. Actuellement, la hausse des prix des céréales ayant entraîné la hausse du prix des aliments, et les prix de vente des productions animales n’ayant pas suivi cette hausse, les revenus des éleveurs ont baissé quelquefois de façon dramatique, de nombreuses exploitations doivent fermer, les suicides sont nombreux4, et les éleveurs qui continuent doivent travailler énormément pour un revenu très faible.

Depuis des années, on leur a demandé de se mettre aux normes, d’abord au niveau environnemental, avec la réalisation de dossiers d’installation classée, lourds et coûteux à réaliser, et générateurs de contraintes supplémentaires, puis au niveau de l’hygiène, puis au niveau du bien-être animal, sans parler du niveau administratif, avec des exigences sans cesse croissantes sur le suivi de leur gestion technique. En bref, on leur a imposé de plus en plus de contraintes…. Crise du lait, crise de la volaille, crise du porc, l’agriculture bretonne souffre.

Entre 2000 et 2010, le nombre d’exploitations a baissé de 26%, le nombre d’actifs de 22%, l’importance du cheptel de 5%5.

Ils vivent aujourd’hui très mal d’être montrés du doigt alors qu’ils ont le sentiment pour la majorité d’entre eux de faire un travail de qualité, et de répondre à ce qu’on attend d’eux. Et des désaccords entre chercheurs, des incohérences que nous allons souligner, les ont amenés à croire qu’ils étaient plus face à un acharnement militant qu’à un constat scientifique.

Alors leurs réactions sont quelquefois violentes, même si elles sont toujours restées dans le domaine de l’expression, verbale ou écrite. Un exemple, parmi les plus  »soft », dans le Télégramme du 9/9/2011 :

La méconnaissance de ce phénomène devrait conduire l’État à mener, en collaboration avec des scientifiques intègres et objectifs du monde entier des projets d’expérimentation grandeur nature pour déterminer les origines du développement des algues vertes. T. Merret, président de la FDSEA du Finistère.

Ceci vise clairement les chercheurs de l’IFREMER qui ont conclu au lien entre flux de nitrates et dépôts d’ulves et qui le défendent bec et ongles.

Le Télégramme du 20 décembre 20126 se fait l’écho d’une manifestation tenue par des agriculteurs devant un cabanon possédé par André Ollivro, l’auteur des livres qui dénoncent les marées vertes et l’agriculture. Ils considèrent que puisqu’il visite régulièrement des élevages, c’est leur tour de visiter son installation. Ils lui reprochent de ne pas être en règle tant au niveau permis de construire qu’au point de vue assainissement, ce qu’il nie.

Les commentaires hostiles à l’égard du monde agricole sont innombrables, et de nombreux commentateurs regrettent la non-application du principe pollueur-payeur, demande reprise même par le Conseil Scientifique de l’Environnement de Bretagne.

Or autant il peut être justifié sur le principe de vouloir prendre en compte dans le prix de revient des productions, quelles qu’elles soient, leur coût environnemental, autant on imagine mal dans le contexte économique actuel (crises de la volaille, du lait, du porc) d’augmenter leurs charges.

 

Les agriculteurs sont fatigués à la fois du contexte économique, des contraintes croissantes qui leur sont imposées, et des attaques de ceux qu’ils appellent quelquefois les  »khmers verts ». Le contexte n’est pas vraiment à une négociation apaisée.

1Le Télégramme du 3 avril 2013

2Le nouvel ordre écologique, Luc Ferry

3Lire à ce sujet  »Le parfum d’Adam » de Jean-Christophe Rufin

4 »Quand on parle de désespoir des agriculteurs, on n’exagère pas : la crise qui s’abat sur eux est d’une ampleur sans pareil. Depuis le début de l’année, un agriculteur se suicide toutes les deux semaines en Bretagne. » Agnès Lebrun 26/2/2013

5Cheptel mesuré en UGB, c’est à dire traduit en Unité Gros Bovins (source DRAAF Bretagne)

6 À l’initiative des syndicats FDSEA et JA, une centaine d’agriculteurs se sont retrouvés hier après-midi, près de la plage de la Granville, à Hillion, au pied du cabanon du militant écologiste André Ollivro, connu notamment pour son combat contre les alguesvertes. Après avoir fait le tour du terrain, les manifestants ont pu écouter Didier Lucas, le président de la FDSEA 22, s’interroger sur la légalité «de la présence de diverses installations de loisirs, de leurs conditions d’implantation dans un secteur protégé et des conditions d’assainissement».
Selon le responsable syndical, «André Ollivro a pris l’habitude de visiter les élevages. Aujourd’hui, ce sont les agriculteurs qui viennent vérifier ses installations». «Nos ennemis ne sont pas les écologistes. Mais là, nous parlons d’anti-paysan. Nous devons avoir du respect quand nos interlocuteurs sont des écologistes convaincus et respectables. Pas pour les anti-paysans», a poursuivi Gildas Alleno, des Jeunes Agriculteurs.
Absent à l’heure du rassemblement, André Ollivro a réagi un peu plus tard: «La première chose, c’est que la
FDSEAest en campagne électorale. La seconde, c’est que ça les énerve que du haut de mon cabanon, je puisse voir ce qui se passe à l’embouchure du Gouessant. J’ai un captage ici et depuis 1994, les taux de nitrates sont passés de 20mg/l à 82mg/l. Ils font donc pression sur moi. Mais, je suis aux normes. Mon permis de construire date de 1967 et ça fait vingt ans que je suis au tout-à-l’égout. Quant à la caravane, je vais la bouger». 

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