En bref, pour ceux qui sont pressés.

Signalés dès 1924 par un agronome sur des plages de Bretagne Nord, des échouages d’algues vertes, plus précisément des ulves, sont observés sur de nombreux sites, mais en quantités importantes et gênantes seulement sur une grosse demi-douzaine de sites. Ces échouages n’ont pris une importance vraiment problématique qu’à partir de la fin des années 60, les constructions de résidences secondaires et d’hôtels avant cette période, par exemple à La Lieue-de-Grève, en attestent : si les échouages avaient eu l’ampleur qu’ils ont maintenant, personne n’aurait construit sur le bord de cette plage magnifique.

Il est donc difficile d’imaginer que le développement de l’activité humaine en général, et de l’agriculture en particulier n’aient joué aucun rôle dans l’augmentation des marées vertes. Les rejets ayant été multiples, et les algues vertes ayant des besoins divers, on ne peut toutefois pas faire porter à priori la totalité de la responsabilité sur les seuls nitrates d’origine agricole. Les rejets de phosphates ont été considérables, et l’agriculture n’en est pas la seule responsable. (voir rapport « Chevassus »).

Mais les stocks de phosphates présents dans les sédiments interdiraient tout espoir de résultat à court ou moyen terme par le biais d’une seule action sur les rejets de phosphates. La recherche de moyens d’éviter le relargage de ce stock de phosphore serait peut-être envisageable.

La solution retenue et mise en œuvre est donc d’essayer de faire mourir les marées vertes d’un manque de nitrates. Pour simplifier, comme on ne peut pas les faire disparaître en les privant de CO2, ni de lumière, ni de phosphates, ni de tout autre nutriment, le moins difficile, (mais très difficile quand même ) semble être de les priver de nitrates.

Les modélisations proposées par l’IFREMER et le CEVA indiquent qu’il faudra atteindre des taux inférieurs à 10 mg/litre de nitrates pour espérer un résultat ; ce qui est d’ailleurs confirmé par l’histoire des marées vertes : elles n’ont été considérées comme un problème à la Lieue-de-Grève qu’en 1968, alors que les taux moyens de nitrates dans les rivières bretonnes semblent (il y a bien peu de données à cette époque) n’avoir dépassé 5 mg/litre qu’après 1970. (Rappelons que l’eau, pour être considérée comme potable, doit contenir au maximum 50 mg de nitrates par litre, c’est à dire dix fois plus !)

La modélisation réalisée sur le bassin versant du Yar indique qu’il faudrait supprimer totalement l’agriculture pour espérer arriver après quelques années à moins de 10 mg/litre. Encore n’y a-t-il sur ce bassin versant que des élevages de bovins, dont trois qui font aussi du porc ; on est donc bien loin de l’agriculture intensive hors-sol toujours considérée comme responsable.

Le choix qui se présente est le suivant: soit on maintient la pression sur les agriculteurs pour les contraindre à diminuer les fuites de nitrates, mais on sait que les taux ne descendront jamais sous 10 mg/litre, et dans le cas de la Lieue-de-Grève on ne viendra jamais à bout des marées vertes, soit on supprime totalement l’agriculture sur ce bassin versant, et… on ne sait même pas ce qui se passera !

En effet, rien ne permet d’affirmer que les stocks d’azote organique du sol et du sédiment sous la plage, ou les organismes capables de capter l’azote de l’air, ne viendront pas pallier la diminution des nitrates en provenance de l’agriculture. Donc rien ne permet d’affirmer que les efforts accomplis ne demeureront pas vains.

Parce que rien ne permet aujourd’hui de dire que ce ne sont pas les phosphates qui étaient limitants avant l’aggravation du phénomène.

C’est à dire que même si l’idée de lutter contre les marées vertes en diminuant les flux de nitrates est recevable (encore que Guy Barroin de l’INRA pense qu’elle ne l’est pas ou en tout cas pas utilisée seule), rien ne dit que cette méthode sera efficace. (On ne peut bien sûr pas exclure que cela fonctionne sur certains sites et pas sur d’autres.)

Dans tous les cas, le combat sera très long, parce que les nitrates ne sont pas encore limitants : s’ils l’étaient, la production d’ulves varierait annuellement suivant les flux de nitrates, or ce n’est pas le cas. Cela signifie que la diminution des flux de nitrates sera sans effet aussi longtemps que les nitrates ne seront pas devenus limitants.

Et à ce moment là, on ne sait pas comment se comporteront les autres sources d’azote évoquées plus haut, compte-tenu des stocks d’azote et de phosphore dans les sols et les sédiments.

Pour la lutte contre les flux de nitrates, on se trouve en effet devant une double difficulté : diminuer les fuites « directes » d’azote de l’agriculture et s’assurer que la reminéralisation de l’azote organique du sol et le captage de l’azote de l’air ne compromettent les efforts accomplis.

Et à supposer que ces deux difficultés soient résolues (!), reste à savoir quel résultat espérer d’une telle diminution des flux de nitrates.

En effet, certaines études de l’IFREMER ont été faites en considérant que les ulves avaient un taux de matière sèche de 2,8%, ce qui amenait les chercheurs à la conclusion que les ulves utilisaient selon les sites entre 0 et 50% des nitrates apportés par les rivières en fin de printemps et début d’été (cinq semaines centrées sur juin).

En réalité, le taux de matière sèche est plutôt de l’ordre de 10%, on trouve même quelque fois 15% (rapport « Chevassus » page 74) ; il faut donc conclure des études citées que la production d’ulves peut être jusqu’à deux fois supérieure à ce que permettent les apports de nitrates de cette même période. D’où viennent les autres nitrates utilisés par les ulves ? Des apports antérieurs (c’est qu’il y a eu stockage), des apports ultérieurs (juillet août, en général l’étiage) ou d’une autre source ? S’engager dans des efforts tels que ceux qui sont envisagés dans les plans de lutte contre les marées vertes sur des bases aussi peu fiables semble un peu hasardeux.

Il semble qu’on pourrait essayer, en détournant une partie du débit d’étiage de la rivière « responsable » de vérifier si les modèles utilisés sont bons, ou s’ils ont besoin d’être révisés (réviser un modèle n’est pas une honte, c’est ce que font sans cesse les météorologues, ce grâce à quoi ils progressent sans arrêt). Cette idée avait d’ailleurs déjà été proposée il y a plus de vingt ans par des chercheurs de l’IFREMER, mais avait suscité à l’époque une levée de boucliers.

On sait, par l’observation d’autres sites, sur lesquels il n’y a pas de marée verte malgré des flux de nitrates importants, que si les nitrates arrivent à un endroit où l’eau est suffisamment renouvelée, il n’y a pas de formation de marée verte. Les modèles hydrodynamiques existants permettraient de savoir quel débit capter et où le rejeter pour, peut-être, éviter les marées vertes, mais en tout cas pour valider ou pas les modèles utilisés . Donc tout le monde y trouverait son compte.

Sauf éventuellement ceux dont le combat contre les marées vertes serait un alibi pour obtenir la fin du modèle agricole breton.

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