Ulves et échouages

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Les ulves sont des algues vertes qui vivent normalement fixées à un fond rocheux autour du niveau des plus basses mers, mais dont un morceau peut se détacher, et continuer à se développer au fond (elles sont un peu plus lourdes que l’eau de mer), à la dérive, emporté par le courant. C’est essentiellement Ulva armoricana qui est responsable des marées vertes en Bretagne, et un peu Ulva rotondata.

 

 

ulve

 

Certains (voir à ce propos le rapport « Chevassus » page 105) se sont demandé s’il n’y avait pas eu une modification génétique, ou l’arrivée d’une nouvelle espèce, qui auraient pu justifier l’apparition des marées vertes. Des échantillons trouvés dans un herbier de la fin du XIXème siècle sont identiques à l’Ulva armoricana observée aujourd’hui, donc il n’y a pas de nouvelle espèce, même si l’hypothèse de mutations vers des types à croissance plus forte dans des milieux riches en nutriments ne peut être écartée.

Elles ont deux modes de reproduction :

- une reproduction sexuée, dont une caractéristique étonnante est que les stades haploïdes (l’équivalent de nos spermatozoïdes ou de nos ovules) et les stades diploïdes (l’équivalent des cellules de notre corps) sont morphologiquement identiques, indiscernables à l’œil. Des émissions de spores permettent de passer d’un stade à l’autre. Ce mode de reproduction n’est pas fondamental dans le phénomène marées vertes,mais il peut avoir un rôle dans le transfert d’un site à un autre.

- et une reproduction asexuée, par bouturage : quand un fragment d’algue se détache, il se développe et peut à son tour se fragmenter et donner des morceaux qui vont se développer et pourront se fragmenter à leur tour. C’est ce phénomène qui entretient les marées vertes, parce que chaque petit morceau d’ulves, même de la taille d’un ongle par exemple, peut être à l’origine de grandes quantités d’algues. La croissance est exponentielle, et si les conditions sont favorables, certains avancent un doublement tous les trois jours ! Mais d’autres proposent plus prudemment une croissance de 10 à 12 % par jour, ce qui est déjà très rapide.

Au printemps et en été les tonnages d’algues vivant détachées sont très supérieurs aux tonnages vivant fixés, mais les stocks profonds hivernaux sont mal connus, et semble-t-il, très différents selon les sites.

Tant que ces algues restent à quelques mètres de profondeur , leur développement est assez lent, la lumière étant insuffisante pour que leur potentiel de croissance puisse s’exprimer.

Mais quand le courant les rapproche du rivage, elles bénéficient d’une lame d’eau plus mince, donc de plus de lumière, et si elles arrivent dans le  »rideau », c’est à dire dans les vagues qui déferlent sur la grève, elles sont mises en suspension et éventuellement fragmentées par les mouvements de l’eau. La totalité de la lame d’eau peut alors être occupée par ces algues qui y trouvent des conditions de prolifération très favorables.

C’est là qu’intervient un phénomène qu’on appelle l’eutrophisation ; cela signifie que le milieu est trop riche en nutriments, et que cela entraîne une croissance de végétaux (algues vertes en l’occurrence) trop rapide par rapport à ce que le milieu peut éliminer (par prédation ou déplacement) ou digérer naturellement, pour reprendre la définition d’Alain Menesguen (conférence à l’IFREMER le 13/3/2013). C’est une bonne définition, nous verrons qu’il y en a d’autres.

Leur capacité à fixer l’azote (ou les nitrates) leur confère un rôle épurateur remarquable, rôle qui avait déjà été souligné au début du siècle dernier à propos de marées vertes très importantes qui avaient eu lieu vers 1880 dans la baie de Belfast. Mais ce rôle était reconnu aussi longtemps que les algues restaient fixées, pas lorsqu’elles se décrochaient et venaient s’échouer. Il s’agissait à Belfast d’une autre espèce d’ulve, peut-être plus résistante à la rupture, mais ce sont essentiellement des ulves libres qui forment les marées vertes françaises, et quand elles viennent s’échouer, on ne peut pas vraiment parler de rôle épurateur, sauf à savoir gérer les stocks après échouages.

C’est grâce à la capacité quasiment infinie de bouturage des fragments détachés de la plante mère que les ulves sont à l’origine des marées vertes.

 

Les échouages.

La quantité parfois très importante d’algues du rideau se déplace avec la marée, et une partie reste déposée sur l’estran quand la marée descend ; des algues peuvent s’accumuler sur la « laisse de pleine mer »1, d’autres peuvent s’échouer sur toute la surface qui découvre.


Marée-verte

 

Les algues échouées sont reprises à la marée suivante, mais si le coefficient de marée diminue, la mer ne montera pas aussi haut et les algues resteront à sécher sur la grève jusqu’à ce qu’une marée du même coefficient les reprenne ; comme elles auront commencé à sécher, elles formeront alors un tapis flottant parfois très épais (des dizaines de centimètres), qui va en fonction du vent soit rester échoué, soit partir à la dérive vers le large.

marée-verte-seche

 

Quand les algues restent échouées plusieurs jours, une croûte peut se former, sous laquelle les algues subissent une dégradation, qui se traduit, entre autres, par la formation d’hydrogène sulfuré, (ou H2S) gaz à l’odeur d’œuf pourri. C’est ce gaz qui a été mis en cause dans la mort de chiens, d’un cheval, d’un joggeur puis d’un chauffeur de camion chargé de l’enlèvement des algues, sans pour autant qu’aucune preuve formelle n’ait été apportée. C’est l’étanchéité de la croûte qui est à l’origine de la transformation d’un problème esthétique, olfactif et environnemental en un problème sanitaire : d’une part parce que dès que l’oxygène présent sous la croûte est consommé, la dégradation se fait en milieu anaérobie, conduisant à la production de H2S, d’autre part parce que les gaz enfermés dessous sont libérés brutalement quand la croûte est rompue par le poids d’un animal ou d’un homme ; la concentration peut alors atteindre en très peu de temps des taux dangereux, voire mortels. La bouillie pourrissante qui se trouve sous la croûte évoque un chaudron de sorcière, peu appétissant, voire carrément infâme !

A ce stade, en dehors même du risque que peut représenter le gaz, la plage est invivable, l’odeur est très désagréable, les vacanciers ont déjà fait leurs bagages.

Il faut bien rappeler qu’avant cette dégradation, ces algues sont sans aucun danger pour la santé ; on peut les toucher, les manger… sans aucun risque. Je ne peux m’empêcher de vous renvoyer vers la Chine pour vous le confirmer. D’ailleurs, voyez vous-mêmes:

chine

sans risque, vous dis-je!

1La laisse de pleine mer est la ligne formée par l’ensemble des débris épaves laissés par la mer à la limite supérieure atteinte par la marée.

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