Dès 1977, J. Kopp souligne1 l’importance des courants dans le phénomène des marées vertes, et affirme que c’est la courantologie exceptionnelle des baies de St Brieuc et Lannion qui en explique la sensibilité.
Ceci rejoint la configuration des sites évoquée plus haut, mais permet aussi de faire entrer dans la partie un autre facteur. En effet, si le courant peut être lié aux marées, il peut aussi être créé par le vent.
Les marées.
On peut s’étonner que dans ce pays où le paysage est si changeant, où la mer semble perpétuellement en mouvement, les algues ne soient pas emportées au loin par les courants. En fait il y a de nombreux sites d’où les algues (et les nutriments) sont évacuées, (la baie de Goulven par exemple dans le Finistère) et dont on ne parle pas, comme on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure.
Cela a déjà été évoqué plus haut à propos de la configuration des sites, c’est dès 1988 que Menesguen et Salomon ont montré sur l’exemple de la baie de St Brieuc, que les endroits où les marées vertes se produisaient étaient les endroits où la marée rapportait les algues à l’endroit où elle les avait »prises » un peu plus de 12 heures avant. C’est-à-dire là où le courant résiduel d’un cycle de marée est quasiment nul.
Pour ceux qui habitent encore loin du rivage, mais que la montée des océans va en rapprocher dans un avenir proche, un petit rappel s’impose, grâce auquel ils sauront à quelle heure ils peuvent aller faire les courses à pieds secs:
Qu’est-ce que la marée ? En gros, la mer est haute deux fois par jour et basse deux fois par jour.
C’est le premier niveau de variation : le niveau de la mer monte (c’est le flot) un peu plus de 6 heures, puis descend un peu plus de 6 heures (c’est le jusant), donc un cycle de marée dure un peu plus de 12 heures, ce qui fait que la marée retarde un peu tous les jours, d’une petite heure en moyenne, un peu moins en »vives eaux », un peu plus en »mortes eaux ».
Les marées ne sont pas toujours de la même amplitude. L’explication tient au fait que les marées sont dues à l’attraction sur les masses d’eau océaniques de la lune et du soleil. Or les positions respectives de la Terre, de la lune et du soleil varient en permanence, et la Terre tourne. Tous ces mouvements sont à l’origine de ce qui s’appelle en physique un »battement »2.
Dans la pratique, un nombre permet de quantifier l’amplitude de la marée, il s’appelle le coefficient de marée ; il peut varier entre 20, les marées les plus faibles, et 120, les marées les plus fortes. Cela signifie que l’amplitude des marées varie de 1 à 6 ! Ce qui veut dire que pour un endroit donné, le niveau de la mer peut varier d’1,20 m en mortes-eaux, et de 7,2m en grande marée. En baie de St Brieuc, le »marnage », c’est à dire la différence entre le niveau de la pleine mer et le niveau de la basse mer, peut atteindre 13 mètres !
De toutes ces variations, on peut retenir qu’il y a en général au mois de juin, encore plus qu’au mois de mai, une des »vives eaux » qui est assez faible, entourée de deux »mortes-eaux » peu marquées, donc une période de trois semaines sans beaucoup de mouvement ; le soleil est au zénith, le temps est quelquefois beau (!) et la température de l’eau3 peut monter tout à fait localement assez vite (en remontant sur le sable chaud, réchauffement d’autant plus important que la pente de la plage est plus douce). Les conditions sont optimales pour que les ulves se multiplient dans le rideau.
On a donc de la lumière, une masse d’eau peu brassée par les marées, une température en hausse, et les rivières qui ne sont pas encore à l’étiage, qui apportent encore les nutriments nécessaires et même davantage. Si les ulves ne s’étaient pas encore installées au mois de mai dans le rideau, elles ont là toutes les chances de leur côté, pour autant qu’elles aient été apportées dans le rideau. Mais si le courant résiduel de marée est nul, ce qui est le cas sur les sites à marées vertes, il faut bien se demander comment elles y arrivent.
Mon hypothèse est que le vent joue un rôle important.
1J.Kopp 1977 »La courantologie des masses d’eau benthique est donc une composante fondamentale de cette étude…
Cette dernière expérience démontre donc que seules les courantologies des baies de Lannion et St Brieuc sont exceptionnelles et que les causes de l’envahissement de ces plages par les algues vertes sont à rechercher à ce niveau »
2Quelquefois ces attractions s’additionnent, d’autres fois, elles se contrarient. Quand le soleil et la lune sont alignées avec la Terre, soit du même côté de la Terre (nouvelle lune), soit de part et d’autre de la Terre (pleine lune), les effets s’additionnent, on est en »vives-eaux » ou »grande marée ». Quand, au contraire, le soleil, la lune et la Terre ne sont pas alignés (premier ou dernier croissant), les marées sont de faible amplitude, on est en »mortes eaux ». L’alternance est rapide, avec schématiquement une semaine en grande marée et une semaine en mortes eaux. En général, il y a une alternance d’une grande marée à fort coefficient, et d’une grande marée à coefficient un peu plus faible, et de la même manière, il y a une alternance entre une »mortes-eaux » à coefficient très faible et une »mortes-eaux » moins marquée.
C’est un deuxième niveau de variation : il y a deux »vives-eaux » par mois, et deux »mortes-eaux » par mois, mais d’importance inégale.
Les marées d’équinoxe sont réputées pour être de grandes marées, les marées des solstices étant au contraire de faible amplitude. Ce n’est pas tout à fait vrai, les amplitudes moyennes sont les mêmes, mais si aux environs des équinoxes, les marées peuvent être très importantes, elles peuvent aussi être très faibles ; au contraire, aux environs des solstices, et c’est celui de juin qui nous intéresse, il n’y a généralement pas de très grande marée, mais pas non plus de vraies »mortes-eaux ».
C’est le troisième niveau de variation, l’amplitude de la variation des coefficients varie dans l’année, elle est maximale à proximité d’un équinoxe et plus faible aux environs d’un solstice.
3 La température n’est pas un intrant en soi, elle n’apporte rien, mais les réactions chimiques et biologiques se font, dans certaines limites bien sûr, d’autant plus vite que la température est plus élevée. La zone de température optimale pour les ulves se situe entre 15°C et 25°C.