L’importance du site dans la formation des marées vertes

Les sites où se forment les marées vertes ne sont pas ceux où il y a le plus de nitrates, ni les plus pollués, mais ceux où les conditions hydrodynamiques sont réunies pour permettre leur développement : baie à fond clair et peu en pente, où l’eau revient après un cycle de marée à peu près à l’endroit qu’elle a quitté (c’est à dire que le bilan d’un cycle de marée en terme de déplacement de l’eau doit être à peu près nul ): ainsi la rade de Brest est relativement épargnée par le phénomène (à l’exception de la baie du Moulin Blanc) malgré les apports de nitrates et phosphates très importants de l’Aulne et de l’Elorn alors que la baie de Douarnenez, malgré des flux d’azote beaucoup plus faibles, est régulièrement victime d’échouages importants.

courantsrésiduels

On voit, sur cette carte tirée d’une publication Menesguen et Salomon en 1988, les trajets suivis par les masses d’eau d’une marée basse à la marée basse suivante. Dans la partie ouest de la baie (à gauche) on voit que le bilan d’un cycle de marée, qu’ils appellent courant résiduel de marée se traduit par une dérive assez importante. Au contraire, dans la partie sud, le courant résiduel est quasi-nul. C’est à dire que l’eau (et donc les algues qui sont dedans) revient au même endroit après chaque marée. C’est dans ces zones que sont observées les marées vertes. Plus précisément, dans les endroits peu profonds dans ces zones.

Ainsi un site assez peu pollué par rapport à beaucoup d’autres comme St Michel-en-Grève est victime de marées vertes terribles parce qu’il cumule toutes ces  »qualités »: baie à fond clair et peu en pente et courant résiduel de marée très faible

carte

Carte 1: Les principales baies à marées vertes.

 

 carte-échouages

 Carte 2 Cumul des surfaces de plages couvertes par les ulves lors des 3 inventaires

de surveillance de la saison 2011 (données Ifremer/AELB/CEVA)

On voit sur la carte 2 que les sites les plus atteints sont dans des baies assez fermées de la côte nord de la Bretagne.

En prenant en compte les cinq baies présentées sur la carte 1, on a 90 % des quantités ramassées en moyenne au niveau de la Bretagne, ce qui montre que si le phénomène est très étendu en nombre de sites touchés, les marées vertes vraiment problématiques sont en fait circonscrites à quelques baies.

Si l’on regarde de plus près les sites les plus touchés des deux départements les plus atteints, c’est-à-dire des Côtes d’Armor (22) et du Finistère (29), on s’aperçoit que deux sites des Côtes d’Armor représentent la plus grosse partie des quantités ramassées : la baie de St Brieuc, dont les échouages se répartissent sur une demi-douzaine de communes, et la baie de Lannion, dont les échouages se répartissent principalement sur deux communes, St Michel-en-Grève et Plestin-les-Grèves. Les quantités ramassées de 2001 à 2009 dans les communes les plus touchées sont présentées dans les tableaux suivants.

ramassage22

 ramassage29

 Ces deux diagrammes sont réalisés à partir de données extraites du plan de lutte contre les algues vertes rendu début 2010 au premier ministre.

 On observe de fortes variations d’une année sur l’autre sur un même site (voir Fouesnant en violet en bas, en 2003, 2004 et 2005 par exemple) et on voit aussi que ces variations ne se font pas dans le même sens sur tous les sites (voir par exemple St Michel-en-Grève (en jaune en haut) et Hillion (en bleu en haut) en 2007 et 2008). 2004 est une année de forts échouages à St Michel-en-Grève (en jaune en haut) et à Fouesnant (en violet en bas), mais 2008 est une année de faibles échouages à St Michel-en-Grève et de forts échouages à Fouesnant.

Donc non seulement on ne peut pas dire qu’il y a des années avec beaucoup de marées vertes, mais on ne peut même pas dire que certains sites suivent les mêmes variations. En fait les variations du total ramassé sont presque entièrement dues aux sites les plus touchés, St Michel-en-Grève et Hillion pour les côtes d’Armor, et Fouesnant pour le Finistère. Il est difficile de tirer quelque conclusion que ce soit sur les causes de ces variations, dont les causes sont certainement très nombreuses.

 Pour tenter de qualifier les sites, les chercheurs de l’IFREMER ont créé un indice qu’ils appellent  »sensibilité », qui sert à mesurer la vulnérabilité d’un site aux marées vertes. Cet indice est le rapport entre la quantité d’algues vertes observées (ou ramassées), et la quantité que permettraient en théorie les apports de nitrates sur le site. Cet indice est exprimé en pourcentage. Les apports de nitrates pris en compte sont ceux que les rivières affluant sur le site charrient pendant la fin de printemps et le début d’été. Si la sensibilité est de 20, cela signifie que les nitrates apportés par la rivière pourraient servir à la production de 5 fois plus d’algues vertes ou, autrement dit, que 20% des nitrates apportés par les rivières pendant la période considérée comme sensible se retrouvent dans les marées vertes de ce site.

Anse, baie Flux Azote Ulves potentielles Production ulves Sensibilité

(tonnes)

(tonnes)

(tonnes)

(%)

Arguenon

28,2

10066

120

1,2

La Fresnaye

4,4

3058

1806

59,1

St Brieuc

112,1

73715

11388

15,4

Lannion

19,2

17428

9985

57,3

Locquirec

21,8

19180

5630

29,4

Dossen-Guillec

79,7

97910

907

0,9

Guissény

28,2

31854

2910

9,1

Douarnenez

27,1

72334

4475

6.2

La Forêt

13,3

9125

4818

52,8

Indice de sensibilité relative des sites aux apports azotés en 1997

Les apports d’azote pris en compte sont ceux de 5 semaines centrées sur juin

Le taux de matière sèche est fixé à 2,8 % (!), le pourcentage d’azote à 2,5 %

La production est le plus élevé des tonnages observé et ramassé (d’après Merceron, 1998)

 (Dans ce tableau, ce sont les flux d’azote qui sont pris en compte, on aurait pu prendre les flux de nitrates en multipliant les valeurs par 4,4, ça n’aurait rien changé. Le rapport nitrates – azote est étudié par ailleurs.)

Cette sensibilité peut varier de 0% pour des sites où malgré des apports de nitrates, on n’observe jamais de marée verte (n’apparaissent pas dans ce tableau), à plus de 50% pour des sites sur lesquels toutes les conditions sont réunies (57 % à Lannion). La valeur absolue de cet indice est faible, compte-tenu des erreurs sur les tonnages ramassés, sur le taux de matière sèche des algues et sur la masse volumique des algues ramassées; mais elle garde toute sa valeur pour comparer les sites entre eux. En pratique, cette sensibilité permet d’identifier les sites les plus touchés, mais est très variable d’une année sur l’autre.

Il faut noter que le taux de matière sèche retenu, de 2.8% est près de 4 fois inférieur à la réalité, ce qui veut dire que lorsqu’à Lannion, la sensibilité est de 57%, il faudrait lire 200%; ceci signifie que la production d’ulves dans la baie de la Lieu-de-Grève est deux fois supérieure à ce permettent les apports de nitrates du bassin versant pendant la période retenue. Donc soit il y a une grosse erreur dans l’estimation des tonnages observés et ramassés, soit c’est toute la théorie qui est à revoir.

Il apparaît là encore que la baie de Lannion est de loin la plus sensible, donc la plus défavorisée face aux marées vertes. Il suffit de la comparer avec le site  »Dossen-Guillec » près de Roscoff qui reçoit 4 fois plus de nitrates, et produit 15 fois moins d’ulves !

Il faut aussi signaler que le littoral a pu évoluer assez récemment. Par exemple, au XIXème siècle, la baie de La lieue-de-Grève a été profondément remaniée, il y a eu un recul de plusieurs centaines de mètres du bord de mer1, et le Yar, qui coulait derrière une bande de sable jusqu’à St Michel, c’est-à-dire à l’ouest de la baie, a rompu cette  »digue » naturelle » et s’est déversé directement dans le milieu de la baie. D’après Louis Chauris, qui cite l’ingénieur Tarot, ce changement est dû aux enlèvements de sable par les agriculteurs. Il condamne les arrêtés préfectoraux qui ont autorisé ces enlèvements, pas du tout au nom du problème des marées vertes, mais au nom de l’entretien de la route qui a exigé de nombreux travaux.

 Il est certain que les enlèvements de sable liés au ramassage des algues vertes n’a fait qu’aggraver le phénomène et creuser encore plus la baie, ce qui peut tout à fait avoir eu un rôle aggravant sur le problème des marées vertes.

 Qui sait quelle serait la situation si la baie avait le même profil qu’en 1860 ?

 Quant à la baie de St Brieuc, en ce qui concerne la période récente, il y a d’abord eu en 1971 des travaux pour fermer le port de St Quay-Portrieux. Puis autour de 1985, un bassin de 13 hectares a été pris sur le domaine public maritime à la pointe de Cesson, pour y déverser le million de m3 de vase issus du dragage du port du Légué (port de St Brieuc). Enfin vers 1990 a été construit le port en eau profonde de St Quay-Portrieux. St Quay-Portrieux peut sembler bien loin des zones d’échouages des ulves, mais quel peut être l’impact sur les courants résiduels dans la baie de l’obstruction partielle du chenal situé entre St Quay et les roches de St Quay ?

 En baie de Morieux, les bouchots installés semblent canaliser les courants de marée vers le chenal du Gouessant, et les dépôts de sédiments atteignent près de 3 centimètres par an en moyenne dans la baie.

 Tous ces travaux ont-ils eu, ou ont-ils un impact sur les marées vertes ? Seule la modélisation pourrait le dire. En tout état de cause, la réponse n’aurait pas grand intérêt, étant donné qu’il est peu probable que soit envisagée la possibilité de tout remettre à l’état de nature. L’homme est présent, il modifie l’environnement, quelquefois à son profit, d’autres fois à son désavantage.

 Le site a une importance fondamentale dans le développement des marées vertes. Certains sites sont très  »sensibles », ils vont être le lieu de développement de marées vertes presque quelles que soient les apports de nutriments et les conditions météorologiques, et d’autres beaucoup moins sensibles, on n’y observera des marées vertes qu’épisodiquement.

 

1 Comme l’indique l’ingénieur des Ponts et Chaussées Tarot, dans un rapport en date du 13 novembre 1880 (Archives départementales du Finistère 2 S 397), « jusqu’à une époque encore fort récente, la route était séparée de la mer par une vaste étendue de terrains sablonneux qui n’étaient recouverts que par les hautes mers d’équinoxe, et dont une partie était même entièrement soustraite à l’action des eaux : ces terrains étaient cadastrés« . L’ingénieur ajoute qu’ « à cette époque également, le ruisseau qui se jette au fond de la baie, au lieu de gagner directement la mer, s’était tracé un chenal le long de la route qu’il suivait jusqu’au village de Saint-Michel« . Trouvé sur : http://www.infobretagne.com/lalieue.htm

 

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