La controverse: tentative de décorticage!

Qui croire ? Ce sont tous des professionnels dont la bonne foi ne peut être remise en cause. Il faut aller plus loin.

Il y a des faits surprenants : en juin 99, l’IFREMER, (Merceron M.) publie un rapport de synthèse sur l’année 98, en s’appuyant sur les données de 97 et 98 pour toute la Bretagne, d’où il ressort qu’il n’y a pas de lien entre les apports de nitrates en fin de printemps-début d’été et les tonnages d’ulves ramassées. La démonstration est convaincante : au niveau breton, bien que le flux d’azote ait augmenté de 240%, le tonnage ramassé a diminué de 10%. Et les  »indices de sensibilité », (c’est à dire la quantité d’ulves ramassées (ou observées), divisée par la quantité théoriquement permise par les apports d’azote), varient d’un site à l’autre et d’une année à l’autre dans des proportions très importantes comme le montre le tableau suivant, la suite de celui qui a été présenté par ailleurs.

Anse, baie Sensibilité 1997 Sensibilité 1998

(%)

(%)

Lancieux

7,0

38,0

Arguenon

1,2

0,7

La Fresnaye

59,1

44,9

St Brieuc

15,4

5,2

Lannion

57,3

44,1

Locquirec

29,4

5,2

Dossen-Guillec

0,9

0,7

Guissény

9,1

5,8

Douarnenez

27,5

6.2

La Forêt

52,8

6,4

Sensibilité relative des sites aux apports d’azote

Les apports d’azote pris en compte sont ceux de 5 semaines centrées sur juin
Le taux de matière sèche est fixé à 2,8 % (!), le pourcentage d’azote à 2,5 %
La production est le plus élevé des tonnages observé et ramassé (d’après Merceron, 1999)

  S’il apparaît que les sites les plus sensibles restent les mêmes (La Fresnaye et Lannion), que les sites vraiment résistants restent les mêmes (Dossen-Guillec), les sites intermédiaires subissent des changements importants : à Lancieux, l’indice passe de 7% à 38%, donc est multiplié par plus de 5 pendant qu’à La Forêt-Fouesnant, il passe de 52,8% à 6,4%, donc est divisé par plus de 8.

On remarque d’abord que le taux de matière sèche retenu est toujours de 2,8% c’est à dire près de 4 fois inférieur à la réalité, ce qui signifie qu’il y a des sites sur lesquels la production d’ulves est largement supérieure à ce que laissent prévoir les flux de nitrates.

Trois mois plus tard, en septembre 99 , le même auteur fait dans un colloque un  »État actuel des connaissances » où il présente les résultats de l’étude de 95 sur la baie de St Brieuc (qu’on vient d’évoquer) pour démontrer la corrélation entre flux de nitrates en juin et ulves observées.  On peut faire deux remarques sur cette publication :

-Elle sort trois mois après celle, du même auteur, du même organisme, qui montre le contraire, sans aucune explication.

-L’étude sur la baie de St Brieuc date de 95, la dernière année prise en compte est 92 et les résultats des années écoulées depuis (93 à 98) n’ont pas été intégrés dans la publication de 99, de même qu’ils ne le seront pas, 4 ans plus tard quand cette étude sera utilisée de nouveau dans la publication citée pour démontrer  »la responsabilité du nitrate » .

Or si on incorpore dans le diagramme les valeurs de 1997 et 1998 (Merceron M. 1999), voilà ce qu’on observe:

 

biomasse-nitrates2   L’année 1997 est bien dans la série des années précédentes, mais 1998 tout à fait hors champ. Encore une fois, pourquoi ne pas avoir inclus et expliqué ces résultats, ainsi que ceux des autres années manquantes ? L’année 1998 a été exceptionnelle pour les précipitations, ça peut s’expliquer. La conviction et la volonté de démontrer quelque chose peuvent-elles passer par la dissimulation de données ?

Les deux diagrammes suivants présentent les quantités d’ulves ramassées par an dans les principaux sites atteints par les marées vertes, dans les deux départements les plus touchés.

ramassage22 ramassage29

 

A part 2004, où les quantités ramassées ont été très élevées à St Michel-en-Grève et à Fouesnant, rien de remarquable n’apparaît, bien qu’il y ait eu des années plutôt sèches et des années pluvieuses.

On peut voir en haut que Plestin-les-Grèves et St Michel-en-Grève, dans la même baie, n’ont pas toujours les mêmes variations, comme Morieux et Hillion, dans la même baie également.

En bas, Plomodiern et Plonevez-Porzay varient à peu près de façon synchrone, mais pas Douarnenez, pourtant dans la même baie. Or on peut faire l’hypothèse que lorsqu’une année est pluvieuse, ou sèche, elle l’est sur l’ensemble des départements bretons, même s’il y a de petites différences locales. Il est difficile de tirer quelque conclusion que ce soit de cet enchevêtrement de lignes, qui a le mérite de montrer qu’une année à forts échouages sur un site peut être une année à faibles échouages sur un autre.

Le CEVA a donc aussi essayé d’établir des corrélations entre flux de nitrates et importance des marées vertes, mais rien n’en sort de convaincant. En gros, on peut dire qu’il ne semble pas y avoir de corrélation au niveau de la Bretagne entre les flux de nitrates et les quantités d’ulves ramassées, même si cette corrélation peut exister par endroits.

Toute analyse des variations annuelles faite au niveau de la Bretagne est nécessairement biaisée, compte-tenu de l’importance relative des ramassages sur la commune de St Michel-en-Grève dont l’amplitude des variations de plus de 10 000 tonnes suffit à expliquer la plus grosse part des variations régionales, et compte-tenu de l’importance relative de la baie de St Brieuc qui joue le même rôle en ce qui concerne les surfaces d’échouage.
Mais qu’apporterait la mise en évidence d’une corrélation « taux de nitrates-échouages d’algues vertes » ? Rien, ou plutôt ça laisserait entendre que toute baisse des flux de nitrates sera suivie d’une baisse de la production d’ulves ; c’est à dire le contraire de ce qui est dit et répété par l’IFREMER.

Essayer de prouver que les nitrates sont le facteur limitant et affirmer en même temps que les efforts sur les taux de nitrates n’auront d’effet que quand la réduction atteindra 50% ou 70% est totalement incohérent.   Si dans le baquet qui a servi d’exemple on raccourcit la planche la plus courte, le niveau baisse immédiatement ; si on raccourcit une planche et que le niveau ne baisse pas, c’est que ce n’était pas la plus courte, donc pas le facteur limitant. facteurlimitant0002

Le plus vraisemblable est que la lumière soit limitante quand le rideau est formé, comme elle l’est quand les ulves sont au fond. C’est d’ailleurs ce que sous-entend Alain Menesguen quand il dit que si l’on pêche dans le rideau avec les machines mises au point récemment, on va augmenter la croissance des algues.

Puis on a les nitrates, qui sont en large excédent par rapport aux besoins, puisque tous les chercheurs s’accordent pour dire qu’il n’y aura d’effet que quand les taux de nitrates auront atteint 5 à 10 mg/l. Autrement dit, ils ne sont pas limitants. S’ils ne sont pas limitants, cela signifie qu’on peut multiplier les flux de nitrates par 2 ou par 10 sans aggraver les marées vertes puisque le facteur limitant, lui, n’aura pas été modifié (peut-être se passerait-il autre chose qu’une marée verte, personne n’a envie de jouer à ça!). Cela signifie aussi qu’on devra baisser les taux jusqu’à ce que les nitrates soient devenus limitants avant d’avoir le moindre début de commencement de semblant de réponse. Et on ne sait pas si, le moment venu,les cyanobactéries ne remplaceraient pas les nitrates manquants, compte-tenu de la présence des phosphates dans le sédiment.

Enfin il y a les phosphates, dont on sait seulement qu’ils sont très abondants dans le sédiment, mais dont les conditions de relargage sont mal connues et pas maîtrisées du tout. D’où les points d’interrogation sur le schéma.

Restent à expliquer les variations de teneur interne en azote des ulves en cours de saison. Ces variations sont plus importantes en baie de St Brieuc que sur le site de la Lieue de Grève où les taux n’atteignent que rarement des niveaux susceptibles d’arrêter la croissance. Le CEVA évoque d’ailleurs  »une résistance du site (de la Lieue de Grève) à des mesures préventives en amont encore plus élevée que prévue par le modèle » de l’IFREMER.

Il est décrit que le taux d’azote interne baisse quand la lumière et la température sont favorables à la croissance : l’algue utilisant l’azote pour sa croissance, le taux interne diminue et seule l’absorption de nitrates peut compenser cette diminution. Or cette absorption se fait de manière active1, c’est-à-dire qu’elle nécessite de l’énergie. L’algue doit-elle arbitrer entre l’utilisation de l’énergie pour la croissance et l’utilisation pour l’absorption des nitrates, c’est à dire entre assimilation et absorption ?

Par ailleurs des hausses brutales et inexpliquées du taux d’azote interne sont parfois observées, ce qui montre que la connaissance des causes de ces variations peut être améliorée. Le fait que cette baisse s’observe sur tous les sites à des degrés divers signifie peut-être qu’elle est  »normale », ou physiologique, et que seule une partie de la baisse pourrait être liée à une diminution du taux de nitrates dans l’eau, diminution ponctuelle à la fois dans l’espace et dans le temps.

Chaque site est un cas particulier, et chaque moment est particulier aussi, c’est-à-dire que les nitrates peuvent quand même être quelquefois limitants, comme les phosphates semblent l’être quelquefois, et comme la lumière l’est souvent. En ce sens, la solution retenue, c’est-à-dire la gestion du problème par ensemble de bassins versants en lien avec un site à marées vertes est la solution la plus adaptée. Au vu de l’historique des marées vertes, on peut affirmer que sur les sites les plus atteints, les nitrates sont loin d’être limitants puisque les marées vertes se sont stabilisées au début des années 80 alors que les flux de nitrates ont augmenté jusqu’au milieu des années 90.

Et s’ils ne sont pas limitants, il ne peut pas y avoir de corrélation entre flux de nitrates et importance des marées vertes, il est inutile d’en chercher. Ou plutôt, il ne peut pas y avoir de lien de cause à effet entre les variations des flux de nitrates et l’importance des marées vertes. Ceci n’exclut pas qu’il y ait des corrélations dont l’explication serait différente, comme il sera vu par ailleurs.   Ceci n’empêche pas qu’il puisse y avoir des sites où les nitrates sont déjà ou encore limitants, et où il sera plus facile de se débarrasser des marées vertes.

Quant à dire que le nitrate est responsable, pour reprendre le titre de la publication, ça n’a guère de sens, comme il a déjà été dit : ça ne pourrait en avoir que si tous les autres facteurs étaient  »naturellement » réunis sur un site à l’exception de celui-là ; or on a vu que les phosphates ont aussi été apportés en quantités importantes pendant plusieurs décennies.

Jean-Yves Piriou, chercheur aussi à l’IFREMER, et par ailleurs ancien candidat Europe Écologie les Verts prend aussi position en 2009 pour affirmer le lien nitrates-marées vertes.

Enfin voici un curieux extrait d’un dialogue entre André Ollivro et Yves-Marie Le Lay ( »Les marées vertes tuent aussi ») :

A.O.…..D’ailleurs certains d’entre eux (les chercheurs) nous disaient : «  plus vous, associations, protesterez contre les marées vertes, plus nous, scientifiques, nous serons obligés de réagir, et notre parole aura plus de crédit face à nos autorités supérieures ».

Y.-M. L.L. C’est intéressant parce que les associations militantes permettent ainsi de délivrer la vérité scientifique. Délivrer au sens où cette expertise scientifique est prisonnière de toute une hiérarchie qui a trop souvent des comptes à rendre aux pouvoirs politique et économique.

Les voies de la vérité scientifique sont impénétrables ! Il y a donc eu au moins convergence d’intérêt entre les chercheurs de l’IFREMER travaillant sur le dossier des marées vertes et certaines associations dont les nitrates sont le  »cheval de bataille ». (comme le fait remarquer Marian Apfelbaum) Les associations qui se flattent de jouer les mouches du coche devraient se souvenir de la morale de la fable (On ne lit jamais assez La Fontaine2 !):

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,

S’introduisent dans les affaires:

Ils font partout les nécessaires,

Et, partout importuns, devraient être chassés.

Il était surement nécessaire de tirer le signal d’alarme, peut-être eût-il mieux valu s’en tenir là ! André Ollivro est parfaitement informé qu’il faut abaisser les taux de nitrates entre 5 et 10 mg/l, et que cela nécessite l’arrêt de l’agriculture sur les bassins versants concernés. Cette mesure ne l’effraie nullement, et il entend dicter aux politiques la conduite à tenir.

Tout ceci ne prouve évidemment en rien que les nitrates ne jouent pas de rôle dans les marées vertes, mais peut expliquer la mise en cause par certains syndicats agricoles du sérieux des conclusions de ces travaux.

1Runcie J.W., Ritchie R.J., Larkum A.W.D., 2003. Uptake kinetics and assimilation of inorganic nitrogen by Catenella nipae and Ulva lactuca. Aquatic botany 76 (2003) 155-174
2  »Le coche et la mouche »

Laissez un commentaire

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>