Le gaz carbonique de l’atmosphère, ou celui dissous dans l’eau, sert comme source de carbone, le carbone qui est de très loin l’atome le plus abondant dans tous les organismes vivants. Grâce à l’énergie de la lumière, le gaz carbonique (CO2) est fixé par la plante, qui garde le carbone (C) et rejette l’oxygène (O2). C’est la photosynthèse. Donc dans la journée la plante absorbe du gaz carbonique et rejette de l’oxygène, et la nuit, ou dans l’obscurité, le bilan s’inverse, et la plante respire comme le fait un animal, absorbe de l’oxygène et rejette du gaz carbonique.La quantité de gaz carbonique n’est jamais limitante dans les conditions qui nous intéressent. Et on entend dire que ça ne va pas changer prochainement !
La lumière est la lumière du soleil, bien sûr, mais plus précisément la partie qui arrive aux ulves. Or celles-ci sont un peu plus lourdes que l’eau, et vivent au fond, sauf, quand elles sont dans le rideau, où les mouvements de la mer suffisent à les maintenir en suspension. Donc interviennent trois facteurs :
- l’ensoleillement, qui est plus important en été qu’en hiver, d’une part parce que les jours sont plus longs, que le soleil est plus haut dans le ciel, (donc une plus grande part de l’énergie pénètre dans l’eau), et que la météo est généralement plus favorable (quelle que soit l’impression qu’on peut quelquefois avoir !)
- la profondeur parce que la lumière est absorbée par l’eau1, et la quantité d’énergie disponible diminue très vite avec la profondeur ; donc la configuration du site compte beaucoup à ce niveau, par la profondeur d’une part et un peu aussi par la couleur du fond, qui renvoie plus ou moins bien la lumière
- la turbidité enfin, c’est-à-dire la présence de particules en suspension dans l’eau, qui fait que celle-ci va laisser passer la lumière plus ou moins bien : plus la turbidité est élevée, moins l’eau paraît propre et moins la lumière pénètre dans l’eau. La lumière et l’énergie qu’elle représente est absorbée ou renvoyée par les particules.
Les particules augmentant la turbidité peuvent être de différentes origines.
Il peut s’agir d’apports terrigènes liés à l’érosion, celle-ci a par exemple beaucoup augmenté au moment du remembrement et de la suppression des talus qui délimitaient les champs.
Il peut s’agir de plancton, le phytoplancton se multipliant grâce aux nutriments présents dans l’eau, et le zooplancton se nourrissant du phytoplancton. Les nutriments dont le phytoplancton a besoin peuvent venir soit des apports terrigènes, soit d’eaux profondes (phénomène d’up-welling).
Il peut s’agir enfin de sable et de bulles d’air quand la mer est agitée et que le brassage met en suspension sable et air.
La plus importante marée verte d’Europe, qui avait lieu dans la lagune de Venise aurait été à peu près éliminée par une augmentation de la turbidité : de 1,5 million de tonnes en 1987, elle est tombée à 40 000 tonnes en 1998. Cette turbidité a été modifiée par des pêcheurs de palourdes, suite à l’importation d’une palourde japonaise pour pallier la mortalité des palourdes européennes. La pêche à la drague met en suspension de grandes quantités de sédiments, ce qui a fortement augmenté la turbidité de l’eau, et diminué la quantité de lumière disponible pour les ulves. Dans le même temps, il n’y aurait pas eu de réduction sensible des apports de nutriments. (A noter qu’il y a quand même aussi des auteurs, (Curiel et al en 2004) qui attribuent cette diminution à une meilleure oxygénation du milieu et à une diminution des apports d’éléments nutritifs.) (on trouve les 2 thèses dans le rapport « Chevassus », la première p.34 et la seconde p.25)
Alain Menesguen affirme par ailleurs que si la baie du Mont St Michel n’est pas atteinte par les marées vertes, c’est seulement grâce à la turbidité de l’eau ; autrement, tous les autres facteurs seraient très favorables.
En gros, les conditions de développement sont optimales dans le rideau sur une plage très plate de sable blanc, bref, les plus belles plages !
La lumière peut être limitante dans le rideau quand les algues sont si nombreuses qu’elles se font de l’ombre mutuellement, par un phénomène d’auto-ombrage. Ceci pourrait être assez fréquent.
On peut aussi évoquer le manque d’oxygène nocturne dans le rideau : quand les algues sont très abondantes, qu’elles se sont développées toute la journée en sursaturant l’eau en oxygène, la nuit tombée la photosynthèse s’arrête, mais la respiration continue, donc les algues pompent de l’oxygène et rejettent du gaz carbonique. Peuvent-elles arriver à un niveau d’oxygénation suffisamment bas pour provoquer des mortalités ou des dégradations ?
1Très schématiquement, les infra-rouges sont arrêtés dans le premier mètre, et il n’y a, en eau parfaitement propre, que 25% de l’énergie de la lumière qui arrive à 5 mètres de profondeur.