En dehors de la biologie des ulves, dans les facteurs qui ont une influence dans le phénomène, se trouvent:
le gaz carbonique et la lumière
les nitrates
les phosphates
les stocks profonds
les marées
le vent et
le site
- Le rôle de la lumière a été déterminant à Venise, et l’est aujourd’hui au Mont St Michel, mais on ne voit pas de moyen de modifier la lumière sur les sites concernés.
- Nous avons vu que tous les efforts du plan de lutte portent sur les nitrates, les efforts de nettoyage des plages n’ayant pas de rôle préventif. Dans l’étude sur le cas du Yar1, il est proposé, semble-t-il pour la première fois, de mettre l’accent sur le contrôle des taux en fin de printemps et début d’été, idée qui semble intéressante. Cela veut dire faire porter les efforts sur les flux d’azote de cette période plus que sur les flux d’azote totaux.
A ce titre, on se demande d’ailleurs si la contestation des arrêtés préfectoraux de juillet 2009 au motif que l’épandage n’était interdit sur le maïs que jusqu’au 15 février était une bonne idée. Les épandages faits entre le 15 février et le 15 mars ne doivent pas peser beaucoup sur les flux d’azote de mai à août. Encore faut-il savoir si on veut l’arrêt des marées vertes ou l’arrêt de l’agriculture ?
- Il y a trop de phosphates présents dans le sédiment (plusieurs dizaines d’années d’apports) pour espérer les voir jouer dans un avenir proche le rôle de facteur limitant. Et les connaissances actuelles ne permettent pas à ma connaissance de modifier la disponibilité de ces stocks.
- L’action sur les stocks profonds d’ulves, qui servent de relais d’une année sur l’autre, semble avoir eu une certaine efficacité dans la baie de la Fresnaye.
Maintenant que les essais ont aussi montré la faisabilité technique de la pêche en eau profonde, il reste à vérifier si cette pêche a une efficacité préventive, s’il y a des saisons où elle est plus efficace qu’à d’autres et si le bilan environnemental est positif.
- On ne peut pas modifier les marées, mais on peut diminuer la quantité d’algues présentes dans le rideau pour tenter de diminuer les échouages. Les essais menés depuis quelques années sur la pêche dans le rideau ont montré que c’était techniquement possible, il faut maintenant vérifier si cette pêche est efficace pour prévenir les échouages, ou si elle augmente la croissance comme le prédit Alain Menesguen. Comme pour la pêche en eau profonde, il reste l’obstacle des possibles dégâts sur l’environnement.
On pourrait aussi s’interroger sur le rôle que pourraient jouer les herbiers de zostères, sans doute moins pour capter les nitrates et concurrencer les ulves que pour freiner leurs déplacements sur le fond, et peut-être diminuer les transferts des stocks profonds vers le rideau. Le repiquage de zostères est très coûteux, mais les budgets en jeu sont très élevés aussi.
- Restent les sites.
Le site a une influence considérable.
On n’envisage bien sûr pas de modifier le profil de la côte. En accompagnement de mesures d’amélioration de l’assainissement, une digue de 8 km a été construite dans le Lac Nord de Tunis pour modifier la circulation de l’eau, et cela s’est traduit par une nette amélioration de la qualité de l’eau dans la lagune. Mais ceci n’est pas envisageable pour d’innombrables raisons sur les côtes bretonnes.
Il y a peut-être un autre moyen de contourner la difficulté.
Boris Vian donne la solution dans la chanson où le tonton bricoleur comprend que la portée de la bombe est sans importance si on choisit bien l’endroit »où ce qu’elle tombe ».
Puisqu’on ne peut pas faire chuter rapidement le flux de nitrates, et qu’il paraît difficile de redonner à la baie de Lannion la topographie qui était la sienne il y a 150 ans, (rien ne dit d’ailleurs que cela serait déterminant pour lutter contre les marées vertes), on peut poser la question de l’endroit où arrive le flux de nitrates de la rivière: on pourrait capter une partie du débit d’étiage de la rivière juste avant l’arrivée sur la plage, et l’envoyer par un émissaire suffisamment loin pour que les nitrates du débit capté ne soient plus disponibles pour les ulves du rideau ou pour que la circulation du flux de nitrates soit suffisamment modifiée.
Construire des émissaires pour rejeter des effluents de station d’épuration a déjà été fait, que ce soit à Landéda et Lannilis (29), sur la rivière de Pont-L’abbé, ou sur l’Odet. Pourquoi ne pas se servir de cette technique pour écarter le flux de nitrates du Yar de la plage ?
En utilisant leurs modèles, l’IFREMER ou le CEVA pourraient déterminer le débit à capter (une partie du débit d’étiage), et le point de rejet de l’émissaire. Le coût d’une telle opération n’est sûrement pas prohibitif par rapport aux budgets engagés actuellement, et cet essai permettrait de valider ou d’invalider le modèle, de dire avec certitude quelle réduction du flux de nitrates est nécessaire pour faire diminuer l’eutrophisation »de manière efficace », comme le stipule le Code de l’Environnement.
S’il s’avérait impossible de supprimer les marées vertes en réduisant le flux de nitrates, ce serait une très mauvaise nouvelle, mais l’information serait capitale. On saurait que les marées vertes ne peuvent pas être vaincues comme ça, autrement dit que la réduction du flux de nitrates n’a pas permis de contrôler l’eutrophisation »de manière efficace ».
Au contraire, si l’opération permet de contrôler les nitrates, le résultat permettrait de valider ou d’ajuster si nécessaire le modèle utilisé, ce qui serait fondamental pour tous ceux qui sont impliqués dans les efforts pour diminuer les flux de nitrates.
Dans le cas du Yar, le débit moyen en juin est d’environ 400 litres/s ; s’il est dit qu’il faut diminuer le flux de nitrates de 50 ou de 75%, il faudra capter 200 ou 300 litres/s, et la limite de l’estran, qui correspond à peu près aux limites naturelles de la baie, est à environ 2 kilomètres. Passer une tuyau de 50cm de diamètre sur 2 kilomètres de sable n’est pas une opération anodine, mais n’est pas non plus un exploit.
Dans la mesure où on ne capterait pas la totalité du débit, le passage des poissons diadromes, c’est-à-dire passant de l’eau de mer à l’eau douce ou inversement, serait préservé. Sur la plage, on aurait simplement un étiage plus marqué que d’habitude. Il conviendrait, bien sûr, d’éviter de placer la sortie de l’émissaire trop près d’une zone susceptible de souffrir d’une dessalure, même faible.
1 Le Yar, rivière considérée comme responsable des marées vertes en baie de St-Michel-en-Grève, a une caractéristique originale : les taux de nitrates sont plus élevés en été, à l’étiage, qu’en hiver. C’est l’inverse du cas général. L’explication tiendrait au rôle de la nappe phréatique, plus riche en nitrates en profondeur que près de la surface ; en hiver, le dessus, plus pauvre, de la nappe alimente la rivière, alors que c’est du dessous, plus riche, que viennent les apports estivaux.
Ce qui expliquerait le manque de réponse des taux de nitrates aux efforts effectués sur le bassin versant depuis des années.