Actions préventives: plan, coût et limites

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Les actions préventives visent à diminuer les apports de nitrates par les rivières se jetant dans les baies concernées. Personne n’envisageant de couvrir la mer d’une bâche pour la protéger de la lumière, les différents éléments nutritifs nécessaires à la croissance des algues ont été examinés, et les chercheurs ont abouti à la conclusion que les nitrates étaient le seul levier d’action accessible. En réalité, tous ne sont pas d’accord, mais tout est décidé comme si c’était un fait acquis.

On a vu qu’il y avait d’abord eu des mesures générales sur les rejets de nitrates d’origine agricole qui concernaient toutes les  »zones vulnérables » (dont les bassins versants à marées vertes, mais pas seulement), et que ce n’est qu’à partir de 2010 que des mesures spécifiques ont été prises pour les marées vertes dans le Plan de lutte contre les marées vertes de la Région Bretagne.

 

Le plan de lutte de la Région Bretagne

Les postes de dépense prévus dans le Plan sont les suivants :

(les valeurs indiquées correspondent au montant apporté par l’État, le pourcentage correspondant au taux de participation de l’État)

Amélioration des connaissances : 200 000 € (50%)

Ramassage : maximum par an 700 000 € (50%)

Construction de plate-formes de compostage 8 M € (80%)

Fonctionnement des plate-formes par an 140 000 € (30%)

Méthanisation des lisiers : une vingtaine de projets

Assainissement non collectif augmentation de 10% de l’aide

Mesures agricoles 16 M € / an pendant 5 ans

Un montant considérable, puisque l’État prévoit 134 M€ sur 5 ans.

On remarque que 80 M€ sur 5 ans représentent la plus grosse part du gâteau, affectés aux mesures d’amélioration de l’agriculture et qu’il y a environ 12 millions pour l’amélioration des connaissances, le ramassage, et la transformation des ulves (compostage), pour plus de 120 M€ pour la lutte  »anti-nitrates » (méthanisation, assainissement et mesures agricoles).

On voit donc que l’inquiétude du Conseil Scientifique de l’Environnement de Bretagne (CSEB) quant au renversement des priorités est infondée, la plus grosse part, et de très loin, allant à la lutte contre les nitrates. Mais leur contrariété venait surtout du fait qu’il était dit qu’il fallait améliorer les connaissances, alors qu’ils sont persuadés que tout est connu sur le sujet.

Ce montant n’est que la part de l’État, le coût réel total de ce plan est bien sûr beaucoup plus élevé, si on prend en compte les dépenses des collectivité locales, et le coût pour les agriculteurs des efforts qui leur sont demandés.

Et c’est encore peu de choses par rapport au coût total du problème marées vertes, en terme d’image, de développement touristique, de pertes pour la conchyliculture….

 

Pour rapprocher les décisions du terrain, l’idée a été de faire signer par les différents acteurs d’un bassin versant, un  »contrat de bassin versant ». Sont concernés, dans le principe sur la base du volontariat, les agriculteurs, les communes, les particuliers, les entreprises situés sur le bassin versant. Les bassins versants concernés sont les huit1 qui débouchent dans les baies où sont observées des marées vertes et qui sont identifiées comme responsables de flux de nitrates importants. Ces plans sont pluriannuels, et deux baies sont considérées comme  »pilotes », les deux qui sont le plus sévèrement atteintes, la baie de Lannion et la baie de St Brieuc.

Ces plans sont différents les uns des autres ; si l’on prend pour exemple le plan de bassin versant de la Lieue de Grève, c’est une charte de territoire 2011-2015 qui a été signée entre l’État,l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, le Conseil Régional de Bretagne, le Conseil Général des Côtes d’Armor, le Président du Comité des bassins versants de la Lieue de Grève, Lannion-Trégor-Agglomération, la Communautés de communes de Beg Ar C’hra, le syndicat d’Eau de la Baie, la chambre d’Agriculture des Côtes d’Armor et l’ensemble des maîtres d’ouvrages d’actions du projet de territoire à très basses fuites d’azote des bassins versants de la Lieue de Grève. Autant dire que tout le monde s’y est mis !

 Le but est le retour à un bon état écologique des bassins versants et de la baie en 2027, ceci voulant dire la disparition des phénomènes de prolifération excessive des algues vertes. On doit noter qu’il y a surtout des élevages de bovins laitiers sur ce bassin versant.

 Les objectifs stratégiques sont :

60% de la SAU en herbe en 2015 (47% en 2007)

baisse des entrées d’azote de 10%

reconquête de 50% des zones humides cultivées

au moins 20 exploitations en production biologique (12 en 2009 sur un total de 170)

Pour atteindre ces objectifs, la charte vise l’adhésion d’au moins 80% des agriculteurs à une charte individuelle d’engagement.

 Il y a plusieurs volets:

 un volet agricole et agroalimentaire (transformation et distribution sont inclus)

un volet zones naturelles

un volet foncier

et un volet assainissement (jugé excessif par le Conseil Scientifique compte tenu du faible poids des rejets azotés dus à l’assainissement par rapport au total)

Le coût prévisionnel total est de 23 M€, les aides étant apportées à hauteur de 10,4 M€ par l’État (3,9 M€), l’Agence de l’eau (2,7 M€), la Région (2,3 M€) et le Conseil Général (1,5M€).

 Des objectifs de réduction des taux de nitrates chiffrés sont fixés : il faut passer de 2007 à 2015 (pour le centile 90) de 32 à 25,4 pour le Yar et de 37 à 28,9 pour le Roscoat.

Un rapport du CESER2 en mai 2011, qui fait le point sur la politique de prévention et énumère les différents types de contrats mis en place et proposés aux agriculteurs pour faire évoluer les pratiques agricoles vers des pratiques provoquant moins de rejets, (essentiellement moins de rejets de nitrates) précise que la division par 3 de l’excédent de bilan azoté entre 1998 et 2007 ne s’est traduite que par une baisse de 5 mg/l des taux de nitrates dans les rivières ! Le combat n’est pas gagné !

 Le rapport du CESER continue3 en pointant du doigt les difficultés liées aux changements de la réglementation, les difficultés qu’il y a pour la mettre en place et la faire respecter, et enfin l’existence de dérogations. Tout ceci la rend finalement peu efficace.

Ce n’est pas le plus grave : il souligne aussi que les valeurs fixées par la réglementation, c’est-à-dire un maximum de 50 mg/l pour le centile 904, et une  »valeur guide », donc une valeur vers laquelle il faut tendre, de 25 mg/l, sont totalement insuffisantes pour avoir une efficacité dans la  »guerre » contre les algues vertes. Ce qui est évident puisque les marées vertes ont commencé dans ces sites très sensibles à une époque où les taux moyens de nitrates dans les rivières bretonnes étaient probablement inférieurs à 5mg/l.

 Comme le CESER, le Comité scientifique du plan de lutte contre les algues vertes trouve inappropriés et insuffisants les objectifs de réduction des taux de nitrates exprimés en pourcentage (30 à 40% selon les sites) et il préconise de viser un taux de 5 à 10 mg/litre.

Ce qui pose problème, c’est que les simulations faites avec les modèles donnent des résultats peu encourageants. Le schéma suivant montre l’évolution des taux de nitrates de 2009 à 2020 en fonction des politiques conduites.

Yar d’après Raimbault et al, Modélisation agro-hydrologique du bassin versant du Yar 

Les politiques retenues sont les suivantes :

PAE en rouge : Pratiques actuelles extrapolées, donc projection dans le futur de la politique actuelle

SFEI en vert : Système Fourrager Économe en Intrants (voir ci-dessous)

AA en jaune : Arrêt de l’Agriculture (On comprend l’émoi des agriculteurs !)

 

L’hypothèse SFEI impose aux exploitations de respecter un certain nombre de contraintes, un seuil minimum de surface en herbe, un plafond maximum de surface en maïs, des plafonds d’apports azotés totaux et organiques par hectare, enfin des plafonds d’apports azotés minéraux annuels en fonction des cultures.

On voit que les 10 mg/litre ne seront jamais atteints dans les deux premières hypothèses, que l’arrêt de l’agriculture permet de passer sous 10 mg/litre en 5 à 6 ans, et que la diminution est ensuite beaucoup plus lente.

On imagine facilement l’émotion que peut provoquer une telle hypothèse dans une région dans laquelle l’agriculture et le secteur agroalimentaire occupent une place prépondérante. On n’en est plus à s’opposer à l’extension des porcheries, mais à envisager l’arrêt de l’agriculture. Alain Menesguen lui-même qualifie l’hypothèse de provocatrice. C’est le moins qu’on puisse dire !

Or on est très loin de l’image des algues vertes liées aux cochons ou à l’élevage hors sol en général : sur le bassin versant du Yar, accusé d’être le responsable des marées vertes de la Lieue de Grève, tous les élevages sont des élevages de bovins, il n’y avait en 2007 que 2 élevages qui avaient aussi des porcs. Sur l’ensemble des bassins versants5 arrivant à la Lieue de Grève, il y a 85 % d’élevages de bovins, et près de la moitié (46 %) de la surface agricole utile est déjà en herbe. Sur 170 exploitations en 2007, on comptait 6 élevages de porcs, et 4 élevages mixtes bovins et porcs.(source:communication sur la « Lutte contre la prolifération des algues vertes dans la Baie de St Michel-en-Grève »)

Et c’est à partir de cette situation là qu’on envisage de passer à un Système Fourrager Économe en Intrants, ou à l’Arrêt de l’Agriculture.

L’agriculture biologique, que certains peuvent imaginer comme une solution au problème, n’est pas en soi une agriculture à basses fuites d’azote ; elle s’accompagne peut-être souvent de conduites vertueuses à cet égard, mais c’est loin d’être systématique. (par exemple un épandage de fumier, même biologique, après une culture de légumineuses engendre de grosses fuites d’azote). D’autre part, la figure ci-dessus montre que l’agriculture  »économe en intrants azotés », (donc théoriquement à basses fuites d’azote) est bien loin de permettre d’atteindre le taux de 10 mg/l.

Sur les sites qui ont vu apparaître les marées vertes dans les années 80, quand les taux moyens de nitrates étaient déjà très élevés, on peut espérer que les efforts sur les flux de nitrates portent leurs fruits. En effet, si d’autres facteurs6 ne perturbent pas trop la donne, on peut logiquement s’attendre à ce que des marées vertes qui ont débuté avec des taux de 40 mg/ l disparaissent ou diminuent quand les taux seront redescendus à ce niveau. Mais quand les marées vertes ont commencé avec des taux sensiblement inférieurs à 5 mg/l, on ne peut pas s’attendre à des résultats sans des efforts énormes.

Dans le premier cas, s’engager dans des efforts raisonnables pour que les taux de nitrates tendent vers la  »valeur-guide » de 25 mg/l7 est un pari sans gros risque : si on gagne, tant mieux, et si c’est sans effet, le coût des efforts engagés n’aura pas été exorbitant et on aura fait mieux que respecter la législation, qui impose 50 mg/l.

Dans le cas des sites  »historiques » des marées vertes au contraire, les efforts vont être énormes pour redescendre sous 10 mg/l, pour un résultat qui reste hypothétique.

 

Toute la lutte préventive est axée sur la baisse des taux de nitrates. Si celle-ci se justifie et peut probablement entraîner une amélioration sur les sites les moins atteints, elle passe, sans garantie de succès, par l’arrêt de l’agriculture sur les bassins versants qui alimentent les sites les plus sensibles, qui se trouvent être les plus atteints.

1En pratique, il y a 4 rivières : le Quillimadec, le Horn, le Douron et le Yar, et quatre baies : celles de Douarnenez, de Fouesnant, de St Brieuc, et de La Fresnaye (à noter que celle-ci n’a déjà plus d’échouages d’ulves depuis 2006)

2  »En application de cette réglementation, et par la mise en œuvre de mesures contractuelles volontaires complémentaires comme le Plan de maîtrise des pollutions d’origine agricole (PMPOA), les Contrats territoriaux d’exploitation (CTE) puis Contrats d’agriculture durable (CAD), et les mesures agro-environnementales (MAE), les agriculteurs ont fait évoluer leurs pratiques (calendrier d’épandage, bandes enherbées, évolution du matériel) et permis de diviser par 3 l’excédent de bilan azoté, passé de 100 à 30 kg/ha depuis 1998. Sur la même période (1998-2007), il y a une tendance généralisée à la baisse des nitrates de 5 mg/L dans les cours d’eau. » Le CESER est le Conseil Économique, Social et Environnemental de la Région Bretagne.

3  »Mais l’évolution incessante de la réglementation, ses contradictions parfois, ses difficultés d’application ou son non-respect, ainsi que certaines dérogations l’ont finalement rendue peu fiable et inopérante. De plus, la valeur limite de concentration en nitrates de 50 mg/L, et plus encore la valeur guide de 25 mg/L, qui orientent l’action publique en matière de santé et d’environnement, ne sont pas compatibles avec la lutte contre les algues vertes. Ces valeurs restent très supérieures au seuil de concentration de l’ordre de 10 mg/L que les scientifiques préconisent pour espérer des résultats tangibles. On peut donc affirmer que les outils réglementaires actuels sont insuffisants pour accompagner les évolutions souhaitées. S’il reste nécessaire, le respect de la réglementation, aujourd’hui, ne suffit plus à lutter contre la prolifération des algues vertes. »

4Le centile 90 correspond à la valeur en dessous de laquelle se trouvent 90% des résultats de mesure. C’est donc une valeur nettement supérieure à la moyenne, mais inférieure au maximum

5Le Yar est le plus important des rivières arrivant à la Lieue de Grève, mais elles sont 5, d’importances très inégales : le Yar et le Roscoat représentent 80 % des apports de nitrates.

6Les phosphates et les stocks profonds en particulier peuvent avoir une influence sur l’évolution du phénomène.

7La valeur-guide de 25 mg/l est introduite par le décret 2001/1220 pour les eaux destinées à être utilisées pour la consommation humaine après un traitement physique simple et une désinfection. Dans tous les autres cas, il n’existe qu’un maximum de 50 mg/l qui doit être respecté dans 95% des mesures.

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